Paysages, formes et atmosphères des scènes culturelles
Sevil Seten Thèse de doctorat débutée en 2020
Encadrement : Directeur de thèse Laurent Devisme (AAU-CRENAU ENSA Nantes), co-encadrement Charles Ambrosino (UGA, UMR PACTE).
Financement : Contrat doctoral dans le cadre de l'ANR SCAENA (2019-2021)
Les clusters culturels sont devenus le sésame des stratégies de développement des villes.
Tout au long des années 1980 et 1990, ils justifient bon nombre de programmes de régénération urbaine, à tel point que ces schémas d’aménagement (généralement nommés quartier culturel ou des industries culturelles) acquièrent rapidement le statut « d‘instrument archétypal » de la planification territoriale. Au cours des années 2000, ces démarches de projet croisent les réflexions économiques sur les milieux créatifs, mettant en avant les enjeux de la concentration spatiale d’entreprises appartenant à une même filière. Ces clusters se présentent alors comme les moteurs territoriaux des transformations du capitalisme. Ils stimuleraient l’innovation dans les autres secteurs de l’économie par la constitution d’une « atmosphère créative » et seraient à l’origine de l’attractivité des métropoles notamment auprès des travailleurs qualifiés et autres membres de la classe créative. Mais, si les travaux des économistes et des géographes ont analysé finement les effets d’agglomération et d’urbanisation à l’origine de ces clusters, ils ont laissé de côté l’analyse des encastrements complexes entre, d’un côté, une offre créative et, de l’autre, les modes de vie, les consommations, les formes urbaines (à l’échelle du bâtiment, du quartier, de la ville) du territoire sur lequel cette offre se développe.
Ainsi les imbrications entre les pratiques de production, de consommation et l’habiter sont sous-documentées alors qu’elles peuvent donner naissance à des ambiances urbaines spécifiques. A l’aide notamment de travaux récents sur la néobohème et les scènes culturelles, il est possible d’identifier et de qualifier les formes d’interactions localisées entre production et consommation culturelle qui participent à la sécrétion d’une atmosphère spécifique que le patrimoine, la morphologie urbaine ou encore la nature de l’offre commerciale ne font que renforcer. Ces formes de labellisation territoriale génèrent des marqueurs pour le quartier, ses habitants (qu’ils soient résidents, producteurs culturels, artistes ou artisans) et les produits qui en émanent. Ceux-ci n’y sont d’ailleurs pas nécessairement fabriqués, mais ils y ont été conçus et sont identifiés à une imagerie urbaine propre aux modes de vie des nouvelles classes moyennes urbaines. A la fois à la marge et dans le giron des actions publiques locales, ces formes d’interaction localisées relèvent d’un positionnement métropolitain privilégié. Ces formes sont notamment produites et choyées par des artistes, créateurs et autres producteurs culturels. Cela recouvre notamment, sans être exclusif, les quartiers pré-fordistes marqués par l’industrie légère (vastes espaces, typologies architecturales modulables, configuration interne des bâtiments, ornementation et éléments décoratifs inspirants, robustesses des constructions) et l’absence d’un voisinage résidentiel trop encombrant.
La visée de la thèse est à la fois théorique et pratique. D’un point de vue conceptuel, il s’agit d’établir un état de l’art interdisciplinaire entre plusieurs bagages théoriques mais également méthodologiques et d’approfondir une approche qui donne toute sa place à la saisie des atmosphères et à l’enjeu pour les sciences sociales de pouvoir qualifier l’expressivité des territoires urbains contemporains (entre scènes, valeurs, milieux, quartiers…). Concernant la dimension opérationnelle, l’ambition est de renouveler les approches contemporaines de la ville créative de manière à mieux outiller les acteurs publics susceptibles d’accompagner sur leurs territoires les dynamiques fugaces et instables des scènes culturelles. En la matière, l’aide à la décision passe plutôt par des descriptions épaisses, par l’interpellation des acteurs quant à la trajectoire prise par certains quartiers et par des formes de recherche qui donnent toute leur place à l’implication aux côtés de – ou tout contre – les acteurs publics.