S’il a fallu attendre la moitié du XXe siècle pour que le concept de “tourisme social” commence véritablement à se diffuser (Lanquart, Raynouard 1995), l’organisation du “temps libre” des classes les moins aisées en Europe est une question qui se posait déjà pendant les décennies précédentes. Qu’il relève des réseaux de l’économie sociale ou de l’initiative publique, le tourisme social, à la fois valeur et ingénierie sociale des vacances, a promu certaines idées de la famille, de la jeunesse et de l’encadrement de ses loisirs-vacances. Nombreux sont aujourd’hui les édifices hérités de cette histoire plurielle. Tous à leurs manières nous éclairent sur les contextes qui les ont vu naître – casernes de vacances de la “Belle époque”, colonies d’embrigadement fasciste ou encore villages et colonies de vacances des “Trente Glorieuses”. Mais que sont-ils devenus ? Quelle réalité, quel état et quelles perspectives pour les architectures du tourisme social ? Rénovation, requalification, abandon, destruction, nouveaux projets ? Les diverses trajectoires architecturales du tourisme social nous permettent d’interroger, sous un nouveau regard, les transformations de nos sociétés. Nous pensons aux devenirs du patrimoine immobilier et des architectures de vacances de la République Démocratique Allemande à l’issue du processus de réunification (Böick 2018 ; Spiegel 2020), aux colonies construites en Italie depuis le début du XXe siècle et par la suite délaissées (Orioli 2005 ; Balducci 2007), aux contextes socio-spatiaux des camps de vacances à destination des flamands ou wallons de Belgique (Heynen Gosseye 2013), à l’héritage et aux réappropriations des villes syndicales de vacances espagnoles (Montesinos 2021 ; Carcelén Gonzalez 2017, 2021) ou encore aux transformations du socialisme ou communisme municipal, d’une société salariale largement encadrée et d’une architecture administrative de l’Etat volontaire en France (Toulier 2008, Down 2009, Bellanger Mischi 2013, Fuchs 2020).
Ces journées d’études visent à questionner et documenter de telles mutations dans une perspective pluridisciplinaire, au croisement de l’architecture, de l’urbanisme, des sciences territoriales, des études touristiques, de la sociologie urbaine, de l’économie, de l’histoire, des sciences de l’éducation et des sciences politiques.

À l’issue d’un programme de recherches qui questionnait le devenir des architectures sociales de vacances sur le littoral de Loire-Atlantique et Vendée, il s’agit d’élargir la focale géographique, afin de mettre en évidence spécificités, croisements et connexions. Les communications pourront s’inscrire dans un des trois axes suggérés ci-dessous, mais toute proposition relative à la problématique générale sera étudiée.

Des modèles architecturaux et de leur actualité

Les infrastructures du tourisme social sont une idéologie matérialisée ayant trait à l’hygiénisme, à une certaine idée de l’éducation et du rôle social de la famille. Cependant, de la colonie de la fédération de Rieti au lido de Montesilvano, construite sous le régime mussolinien, avec sa forme d’imposant avion posé sur la côte adriatique, à la proposition d’un “brutalisme balnéaire” pour le village-vacances VVF de Saint-Jean-de-Monts en 1973, en passant par la petite colonie héraultaise de l’Oustalet, avec ses bâtiments séparés aux abords de la forêt, les modèles ne sont guère les mêmes. Comment ces architectures ont-elles survécu aux années ? Quels héritages, tant matériels qu’immatériels, ont-elles laissé ? Alors que les

normes d’usage collectif des bâtiments ont changé, tout autant que l’organisation des loisirs, dans quelle mesure un tel patrimoine, aussi différencié soit-il, peut-il avoir un avenir ? Si l’analyse de la société par ses restes est un projet typiquement archéologique, il s’agit ici de s’en saisir afin de questionner les modèles architecturaux dont de tels édifices se font la trace, ainsi que leur actualité, leur abandon, les nouveaux usages en cours et ceux qui resteraient à imaginer

Espaces du tourisme social et géopolitique du foncier

À qui appartient tel ou tel village ou centre de vacances délaissé ? Municipalité, société d’énergie ou encore de transport, investisseur immobilier, …, les questions de propriété à se poser sur ce type d’infrastructures sont nombreuses et les acteurs impliqués disparates. Comment se pose dès lors la question des risques liés à leur abandon mais également celle de leur requalification ? Comment un projet de rénovation d’un édifice est-il négocié dans un projet territorial plus vaste, et dans quelle mesure peut-il aboutir ? Comment se jouent les arbitrages public / privé ? Prenant en compte la diversité des espaces singuliers où les colonies et les lieux de villégiature se sont implantés, des littoraux à la haute montagne, invitant à mettre en lumière des dynamiques touristiques, patrimoniales et foncières plus globales, par des biais comparatifs notamment, la vocation de cet axe est de questionner la formation des valeurs spatiales et celle des montages financiers effectués, imaginés ou imaginables. Il pourrait alors nous inviter à problématiser une potentielle typologie contrastée de l’abandon et de la requalification, à questionner les vulnérabilités territoriales, mais aussi les relations, parfois conflictuelles, entre les acteurs impliqués, et les controverses qui peuvent émerger

Perspectives architecturales du tourisme social contemporain

Alors que la crise écologique nous pousse à réinventer notre rapport à la nature, dans quelle mesure le tourisme social tend aujourd’hui à renouveler ses rapports au bâti ? « Droit au plein air », néo-hygiénisme, la question de l’organisation du temps “libre” se pose encore, dans des termes parfois même proches de ceux du XXe siècle. Mais dans quel rapport à l’architecture, quelle relation au territoire, pour quel public ? Quelles peuvent être les attentes à cet égard des projets sociaux touristiques et éducatifs actuels ? Il est question dans cet axe d’interroger les lignes de continuité et les potentielles ruptures vis-à-vis des expériences passées ; et de poser ainsi un regard tant sur la réalité des mutations contemporaines du tourisme social que sur ses perspectives architecturales futures.

Bibliographie indicative

  • Valter Balducci, “Thèmes d’architecture pour les colonies de vacances dans l’expérience italienne”, in Jean Houssaye (dir.), Colos et centres de loisir : institutions et pratiques pédagogiques, Vigneux, Matrice,
  • Emmanuel Bellanger, Julian Mischi (dir.), Les territoires du communisme. Élus locaux, politiques publiques et sociabilités militantes, Armand Colin, Paris,
  • Ricardo Carcelén Gonzalez, “Cuando la clase obrera se hizo Las ciudades de vacaciones de la Obra Sindical de Educación y Descanso, estudio de un modelo incabado 1955-1975”, Arquitectura y tecnología de la Edificación, Universidad Politécnica de Cartagena, 2017
  • Ricardo Carcelén González, “El paisaje en el proyecto turístico obrero de las Ciudades de Vacaciones de Educación y Descanso”, Informes de la Construcción, 73(564): e415, 2021 https://doi.org/10.3989/ic.81316
  • Marcus Böick, Die Idee-Praxis-Erfahrung. 1990-1994, Wallstein Verlag, Göttingen, 2018.
  • Laura Lee Downs, Histoire des colonies de vacances de 1880 à nos jours, Paris, Perrin,
  • Julien Fuchs, Le temps des jolies colonies de vacances. Au cœur de la construction d’un service public, 1944-1960, Presses universitaires du Septentrion, Villeneuve-d’Ascq,
  • Hilde Heynen, Janina Gosseye, “Campsites as Utopia ? A socio-spatial reading of the post- war holiday camp in Belgium, 1950s to 1970s”, International journal for History, Culture and Modernity 1, no 1 (2013): 53 85.
  • Robert Lanquart, Yves Raynouard, Le tourisme social, Paris, Presses universitaires de France, 1995 (5e ).
  • Antonio R. Montesinos, Ciudades Sindicales Vacacionales: la organización del ocio obrero [En ligne https://arquitasa.com/arqticulos/ciudades-sindicales-ocio-obrero/ ]
  • Valentina Orioli, “Colonie e riqualificazione urbana : il caso di Cesenatico”, in Valter Balducci (dir.), Architetture per le colonie di vacanza. Esperienze Europee, Firenze, Aliena,
  • Alma Smoluch (dir.), L’aventure des VVF. Villages Vacances Familles, 1959-1989, Paris, Editions du Patrimoine CMN, 2017.
  • Daniela Spiegel, Urlaubs(t)räume des Sozialismus. Zur Geschichte der Ferienarchitektur in der DDR, Berlin, Wasmuth & Zohlen UG, 2020.
  • Bernard Toulier, “Les colonies de vacances en France, quelle architecture ?”, In Situ [En ligne], n°9, 2008.

Modalités de contribution

Les propositions de communication, d’une vingtaine de lignes, seront accompagnées d’un court CV. Elles sont à adresser (en français, anglais, italien ou espagnol) avant le 25 mars 2022 aux organisateurs à architectures.tourisme.social@crenau.archi.fr

Réponse courant avril 2022.

Organisateurs

Nathan Brenu, Laurent Devisme, Amélie Nicolas (ENSA Nantes, UMR AAU).

Comité scientifique

Valter Balducci (ENSA Normandie ; UMR ATE), Emmanuel Bellanger (CNRS ; UMR CHS), Romain Lajarge (ENSA Grenoble ; UMR AE&CC), Johan Vincent (CERHIO, UMR TEMOS et ESO-Angers), Luc Greffier (Université Bordeaux Montaigne ; Laboratoire Passages), Eve Meuret-Campfort (CNRS ; Cresppa), Anne Bossé (ENSA Nantes ; UMR AAU), Laurence Moisy (Université d’Angers ; UMR ESO-Angers)

CALL FOR PAPERS

Architectures of social tourism: history/ies and futures

If the concept of “social tourism” only began to spread in the 1950s (Lanquart, Raynouard 1995), the organisation of “free time” for the working classes had already been under scrutiny in the previous decades. Whether it derives from social economy networks or from public initiatives, social tourism – as a value and as the social engineering of vacations – has promoted some ideas related to family, youth and the management of leisure time. Many buildings are inherited from this plural history. They all shed light on the contexts in which they were born – holiday barracks of the « Belle Epoque » period, fascist training camps or vacation villages and camps erected during the so- called “three Golden Decades” after World War Two. But what has become of this material heritage? What state is it in? What perspectives lie ahead for the buildings linked with “social tourism”? Should they be renovated, reclaimed, abandoned, destroyed, dedicated to other uses? The destiny of the buildings linked with social tourism over time allows us to renew our questions on the transformations of our societies. For instance, we may consider the future of the built heritage and vacation architecture of the German Democratic Republic after the reunification process (Böick 2018; Spiegel 2020), the colonies built in Italy since the beginning of the twentieth century and subsequently abandoned (Orioli 2005; Balducci 2007), the socio-spatial contexts of vacation camps for Flemish or Walloon Belgians (Heynen Gosseye 2013), the legacy and reappropriation of Spanish vacation union towns (Montesinos 2021; Carcelén Gonzalez 2017, 2021) or the transformations of architecture created under the auspices of municipal socialism or communism, or driven by a voluntary state administration, in France (Toulier 2008, Down 2009, Bellanger Mischi 2013, Fuchs 2020).

This conference aims at analysing such mutations from a multidisciplinary perspective, involving architecture, urban planning, territorial sciences, tourism studies, urban sociology, economics, history, education sciences and political sciences. Following a French research programme which dealt with the future of leisure-oriented social architecture on the Loire-Atlantique and Vendée coastlines, this conference seeks to broaden the geographical focus and to point out specificities, crossovers and convergences. Papers may relate to one of the following themes, but any proposal connected to the general perspective will be considered.

Architectural models and their relevance

The infrastructures of social tourism are material expressions of ideologies related to hygienism, a certain idea of education and the social role of the family. But the spatial models are different: from the Rieti federation colony at the Montesilvano lido, built under the Mussolini regime, with its imposing airplane-like shape landed on the Adriatic coast, to the proposal of a « seaside brutalism » for the VVF vacation village of Saint-Jean-de-Monts in 1973, not to mention the small colony of l’Oustalet in the Hérault region of France, with its separate buildings on the edge of the forest. How have these spatial models survived over the years? What kind of legacies, both tangible and intangible, have they left? While the norms of the collective use of buildings have changed, as well as the organisation of leisure activities, to what extent can such a heritage, however differentiated, be preserved? If the analysis of remains and footprints is a typically archaeological project, such an analysis is also relevant to gain a better understanding of the trajectories of such buildings including contemporary or imagined uses.

Spaces of social tourism and geopolitics of land

Who owns this or that abandoned village or vacation centre? Municipalities, energy or transport companies, real estate investors, etc. The types of ownerships of this kind of infrastructure are numerous and the actors involved varied. How are the risks of dereliction addressed, and how can the sites be regenerated? How is a renovation project negotiated within a larger territorial vision, and what is the measure of success? How are the public/private trade-offs played out? This theme questions the formation of spatial values and the financial arrangements made, imagined or conceivable, taking into account the diversity of the singular spaces where the colonies and the holiday resorts were established, from the coastline to the high mountain sites, inviting us to shed light on the more global dynamics of tourism, heritage and land, notably through comparative means. We may problematise a potential contrasting typology of abandonment and regeneration, focus on territorial vulnerabilities and the sometimes-conflicting relations between actors transforming into spatial controversies.

Architectural perspectives of contemporary social tourism

While the ecological crisis pushes us to reinvent our relationship with nature, to what extent does contemporary social tourism contribute to renew it? The « right to the outdoors », neo-hygienism, the organisation of « free » time are still questions on the agenda, sometimes even close to those which were asked in the mid-20th century, but in what relationship to architecture, the territory, and for what public? What are the expectations regarding current social tourist and educational projects in this respect? This theme aims at questioning the lines of continuity and the potential fault lines with past experiences: how can we assess the contemporary changes regarding social tourism and its potential architectural perspectives?

Terms of contribution

Proposals for communication, about 1 page long, should be accompanied by a short CV. They should be sent (in French, English, Italian or Spanish) before March 25, 2022 to the organizers at: architectures.tourisme.social@crenau.archi.fr

The scientific committee will select the proposals by the end of April 2022.

PHOTO ©Simon Mauviel – Le Courrier du Pays de Retz, centre de colonies de vacances à Saint-Brévin