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MOTS CLES : agriculture urbaine, co-création, ambiance, pratique économique informelle, transformation urbaine, mémoire collective, patrimoine immatériel, durabilité.

Résumé

Dans le cadre de ce projet de thèse, nous nous intéressons aux jardins potagers historiques de Yedikule d’Istanbul qui sont l’un des précurseurs de ce que nous appelons aujourd’hui l’agriculture urbaine. Ayant une forme linéaire, ces jardins suivent le tracé des murailles jusqu’à la mer de Marmara ; ils se limitent à l’est par les murailles terrestres de Constantinople, à l’ouest par l’avenue de « Onuncu Yil ». Ils perpétuent une tradition millénaire d’approvisionnement de la ville en légumes et fruits frais remontant au moins au XIIème siècle (Koder, 1995). De l’époque byzantine jusqu’à la dernière moitié du XXème siècle, ces jardins maraîchers étaient très productifs et nourrissaient des centaines de milliers de personnes (Encyclopedia of Istanbul, 1994).

Les jardiniers, issus de familles rurales, utilisent le long des murailles pour cultiver des légumes sans avoir un statut légal de la part de l’Etat.

L’ambiance du lieu témoigne de ces pratiques quotidiennes qui contribuent à des formes de protection contre une précarité qu’il est possible d’envisager au

niveau de la macro-échelle de la ville.

Aujourd’hui, ces jardins qui ont acquis un statut d’espace vert dans le PLU, sont clairement menacés par la conception d’un projet de parc récréatif qui prévoit la destruction de 70.000 m2 de ces jardins potagers historiques. Ce qui génère une forme de confrontation des processus entre les politiques bottom up / top down. Actuellement, l’indignation des jardiniers a été relayé par une mobilisation des O.N.G. Cela a conduit au blocage de la situation en pérennisant un état de veille. Dans cet état stationnaire, nous rencontrons une pluralité des conceptions du devenir de la terre et des formes d’appropriation qui l’accompagnent. Ces conceptions s’ancrent dans des rapports au temps variés et impliquent que l’analyse se montre attentive aux dynamiques qui marquent l’évolution historique du site. Une évolution qui semble aujourd’hui mise en suspens du fait du blocage imposé par le conflit urbain qui prend naissance.

Pour entendre avec justesse ce conflit urbain, il convient de poser que les jardins potagers se trouvent dans le croisement de conceptions différentes du rapport à la terre, et plus loin, d’intérêts divergents dans la mesure où ils présentent des enjeux diversifiés pour chaque acteur. Nous pourrions, à titre d’hypothèse, distinguer trois postures différentes :

Premièrement, les collectivités locales conçoivent le terrain agricole comme un possible objet spéculatif. Du fait que les murailles soient désormais au cœur d’une cité grandissant à vive allure, elles se localisent dans un espace de rentabilité foncière à valoriser d’une part, et d’attractivité touristique d’autre part ont aussi en ligne de mire l’objectif de garantir une qualité de vie qui passe par la sécurisation de l’espace habité et le confort qu’induirait un parc public.

Deuxièmement, les O.N.G. conçoivent la terre cultivée et les pratiques agricoles locales comme un espace patrimoniale susceptible de faire valoir des indicateurs écosystémiques dont la durabilité.

Enfin, la vie et la culture des jardiniers témoignent d’un profond attachement à la terre et à ses ressources qui réfère à une mémoire sensible du lieu, au-delà de l’intérêt économique. Les jardiniers manifestent une forme d’appropriation de la terre qui s’est développée depuis des générations et dont ils veulent conserver la relation intime et profonde.

Dans ce contexte la problématique se décline sous plusieurs interrogations :

Cette pratique informelle permet toutefois de développer l’économie à micro-

échelle et d’intégrer une population vulnérable à la société.

Comment la procédure de mise en œuvre d’une agriculture rurale et d’une pratique informelle de l’utilisation des espaces publics pourrait contribuer à l’amélioration de l’habitabilité des villes ? Comment redonner sens à l’idée de « villes fertiles » ?

Comment concilier la pluralité des conceptions du devenir d’un espace public pour l’aménagement d’une ville durable ?

De quelle manière les projets de transformation urbaine concernent et engagent les habitants ? Comment l’émergence d’une ambiance tendue et conflictuelle permet-elle d’introduire des questions d’ordre public qui font une place à des pratiques locales et permettent d’entendre des minorités ?

La recherche vise à explorer les potentiels de ce processus informel sous plusieurs aspects, tels que l’aspect historique, social, écologique et économique. Ces jardins se trouvent au croisement de logiques d’acteurs multiples (habitants, associations, autorités locales, concepteurs, chercheurs, propriétaires et promoteurs) ce qui nécessite un dialogue prenant en compte des différences et cherchant à poser les bases d’un projet articulé à une perspective de co-création. Il s’agira pour nous d’enquêter sur ces manières de fabriquer la ville à l’interface entre posture de recherche et projet urbain : de telles démarches permettent d’envisager le renouvellement de cet espace à partir d’un processus co-créatif et selon une approche écologique du projet métropolitain.

Nous aborderons la recherche par la compréhension du contexte global et par l’expérimentation de l’espace jusqu’aux profondeurs historiques. Comme il s’agit d’un espace en suspens, une analyse systématique de la situation (tension, conflits…) est nécessaire. Nous allons faire des entretiens approfondis avec différentes parties prenantes pour une analyse compréhensive du site. Nous allons documenter une ethnographie des troubles et des tensions animant l’espace et faisant ressortir les enjeux publics, politiques et moraux du contexte (Breviglieri et Trom, 2003).

Ensuite, nous travaillerons avec des collaborateurs sur place afin de s’informer des évolutions des faits. En outre, nous allons organiser des visites avec des habitants du quartier pour avoir une description de l’espace et de son évolution dans le temps en se servant de la méthode des « parcours commentés », proposé par Jean-Paul Thibaud, comme un outil de description des espaces sensibles par le recueil de la parole habitant.

A l’issue des connaissances théoriques et pratiques du terrain, nous allons réaliser une historiographie du terrain de travail sous une forme des coupes temporelles développées par Noha Said en 2014 tout en se basent sur la méthode de transect urbain introduite par Nicolas Tixier. Ce dispositif graphique nous permettra de faire dialoguer les différents acteurs et de favoriser l’échange interdisciplinaire pour pouvoir dessiner ensemble le futur de ces jardins.

Bibliographie :

Breviglieri, M. & Trom, D., 2003, « Troubles et tensions en milieu urbain. Les épreuves citadines et habitantes de la ville », in Les sens du public : publics politiques et médiatiques, D. Céfaï et D. Pasquier, PUF,399-416. url: https://www.academia.edu/181381/Troubles_et_tensions_en_milieu_urbain._Les_épreuves_cita dines_et_habitantes_de_la_ville

Grosjean, M. Thibaud, J.P. L’espace urbain en méthodes, Editions Parenthèses, Collection Eupalinos, 2001.

Istanbul Ansiklopedisi. Bostan. In Dünden Bugüne Istanbul Ansiklopedisi (Encyclopedia of Istanbul from Yesterday to Today), 2: 309-310. Istanbul: Kultur Bakanligi ve Tarih Vakfi’nin Ortak Yayindir, 1994.

Koder, J. Fresh Vegetables for the Capital. In Constantinople arid Its Hinterland: Papers from the Twenty- Seventh Spring Symposium of Byzantine Studies, Oxford, April 1993, edited by C. Mango, G. Dragon, and G. Greatrex, 49-56. Aldershot, England: Ashgate Publishing, 1995.

Said, N. G. « Vers une écologie sensible des rues du Caire : Le palimpseste des ambiances d’une ville en transition », Thèse de doctorat en urbanisme et aménagement, dir. Jean Paul Thibaud, Université de

Grenoble, 14/01/2014, 464p.

Tixier, N. L’ambiance est dans l’air : la dimension atmosphérique des ambiances architecturales et urbaines dans les approches environnementalistes. Rapport de recherche, 81. Grenoble : CRESSON. 250 p. PIR Ville et Environnement 2008 (CNRS-PUCA), 2012.

directeur de thèse : Marc Breviglieri

Co-directrice de  thèse : Mme Gülşen Özaydın

Co-encadrante : Noha Gamal-Saïd

École Doctorale : Sciences de l'homme, du Politique et du Territoire

EN

Keywords : Urban agriculture, co-creation, ambiance, informal economy practices, urban transformation, intangible heritage, collective memory, durability.

Abstract

As a part of this thesis proposal, we concern about Istanbul’s Historical Yedikule Gardens which are one of the first forerunners of urban farming. The linear shaped gardens follow the layout of the walls until the Sea of Marmara; they stay in the boundaries between the land walls of Constantinople in the east and Onuncu Yil Avenue in the west. They perpetuate an ancient tradition of to supply fresh vegetables and fruits to the city dating back at least to the twelfth century (Koder, 1995). These were very fructiferous vegetable gardens which are beneficial to feed hundreds of thousands people from the Byzantine period to the last half of the twentieth century, (Encyclopedia of Istanbul, 1994).

The gardeners who come from rural families, use along the walls to grow vegetables without any legal permition from the state. This informal practice helps to develop the economy at micro scale but, it also gives to the vulnerable population the opportunity of being integrated to the society. The ambiance of the place reflects these daily practices that contribute to forms of protection against a vulnerability that can be considered at the macro-scale of the city.

Nowadays, these gardens have acquired a green space status in the PLU (Local Urban Plan), which are clearly threatened by a recreational park project that can devastate the 70,000 square meter historical gardens. This project also leads to a disagreement between the bottom-up / top down policy. Currently, the indignation of the gardeners left its place to mobilization of N.G.O.s (non-governmental organizations). This has led to deadlock which brought an inertia/stableness. In this steady state, we encounter a plurality of the conceptions of the land’s future and the forms of ownership that accompany them. These conceptions root into the various time and imply the analysis which demonstrate attention to the dynamics that mark the historical evolution of the site. These days, improvement seems to be blocked and dragged on as a result of the urban conflict.

As a matter of fact, it should be considered to understand correctly the urban conflict that these gardens are in crossroad of different conceptions which indicates the commitments to the land. Furthermore, there is a challenge for each counterparts who have contrary interests. Hypothetically speaking, we could distinguish the commitments to the land as a three different approaches:

First, local authorities perceive the borders of agricultural land walls as a possible for-profit area. Because day after day, the walls stay in the heart of a rapidly growing city. Additionally, not the one hand they are located at a profitable property site and they are valuable as a tourist attraction place on the other. The main objective of the local authorities is to guarantee a secured and comfortable living space by the public park project.

Second, the N.G.O.s look on the land as a heritage space, they also argue that these areas are crucial for ecology therefore they contribute to the sustainability.

Finally, the life of gardeners and their culture indicate a deep link between the land and its resources which refers to a significant memory of the place, beyond the economic interest. The gardeners’ form of adoption the land comes from past generations and they are willing to keep this tendency today and in the future as well.

In this context, the problem comes in several questions:

How could the implementation process of a rural agriculture and informal practice of using public spaces contribute to improve the livability of cities? How to define the idea of « fertile city »?

How to reach a compromise between different views to transform this public space into developed sustainable city?

How can be the inhabitants concerned about and engage in the urban transformation projects? How does the conflict atmosphere allow local practices to be engaged in public policy issues and to hear the minorities?

The research aims to explore the potential of this informal process in several aspects, such as the historical aspect, social, ecological and economic. These gardens are located at the intersection of multiple actors’ views (inhabitants, associations, local authorities, designers, researchers, owners and developers) which requires a dialogue that takes into account the differences and to seek laying the foundations of an articulated project with a co-creative perspective. It will be for us to investigate the ways of making the city at the interface between research and urban design posture: such steps possible to consider the renewal of this space from a co-creative process and an ecological approach to metropolitan project.

We start the search by understanding the overall context and experimentation the area by getting the bottom of the history. Due to the area is suspended, it is required to make systematic analysis of the situation (tension, conflicts etc…). We will do extensive interviews with different stakeholders to attain comprehensive analysis of the site. We will document an ethnography which illustrates the unrest and tension of the space and will highlight the public, politic and moral issues (Breviglieri and Trom, 2003).

Then we will work with collaborators on the spot to learn about the evolution of the facts. In addition, we will organize visits with local residents to obtain information about the description of the space and its evolution over time by using the method of “parcours commentés” proposed by Jean-Paul Thibaud which leads us to collect sensitive views from the eyes of local residents.

Following the theoretical and practical knowledge of the field, we will achieve a historiography of the field work in a form of temporary cuts developed by Noha Said in 2014 while based on the urban transect method introduced by Nicolas Tixier. This method will allow us to establish a dialogue between the various stakeholders and to foster interdisciplinary exchange of views in order to draw together the future of these gardens.

Bibliography :

Breviglieri, M. & Trom, D., 2003, « Troubles et tensions en milieu urbain. Les épreuves citadines et habitantes de la ville », in Les sens du public : publics politiques et médiatiques, D. Céfaï et D. Pasquier, PUF,399-416.Url : https://www.academia.edu/1813810/Troubles_et_tensions_en_milieu_urbain._Les_épreuves _citadines_et_habitantes_de_la_ville

Grosjean, M. Thibaud, J.P. L’espace urbain en méthodes, Editions Parenthèses, Collection Eupalinos, 2001.

Istanbul Ansiklopedisi. Bostan. In Dünden Bugüne Istanbul Ansiklopedisi (Encyclopedia of Istanbul from Yesterday to Today), 2: 309-310. Istanbul: Kultur Bakanligi ve Tarih Vakfi’nin Ortak Yayindir, 1994.

Koder, J. Fresh Vegetables for the Capital. In Constantinople arid Its Hinterland: Papers from the Twenty-Seventh Spring Symposium of Byzantine Studies, Oxford, April 1993, edited by C. Mango, G. Dragon, and G. Greatrex, 49-56. Aldershot, England: Ashgate Publishing, 1995.

Said, N. G. « Vers une écologie sensible des rues du Caire : Le palimpseste des ambiances d’une ville en transition », Thèse de doctorat en urbanisme et aménagement, dir. Jean Paul Thibaud, Université de Grenoble, 14/01/2014, 464p.

Tixier, N. L’ambiance est dans l’air : la dimension atmosphérique des ambiances architecturales et urbaines dans les approches environnementalistes. Rapport de recherche, 81. Grenoble : CRESSON. 250 p. PIR Ville et Environnement 2008 (CNRS-PUCA), 2012.