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Cette recherche porte sur les processus de spatialisation des mémoires ainsi que les phénomènes de négociation et de revendication qui les accompagnent. Elle fait apparaître la complexité sociale, politique, culturelle et architecturale des sites mémoriels, à la fois espace de remémoration du passé, de légitimation de l’histoire et d’éducation aux valeurs citoyennes et fondateur d’une identité collective.

Rossila Goussanou interroge l’inscription physique des mémoires des traites négrières atlantiques et de l'esclavage à partir d’une étude de la Route de l’Esclave de Ouidah, au Bénin, menée d’octobre 2015 à décembre 2019. Ce circuit mémoriel, qui retrace le parcours des captifs vers les navires négriers, est initié par le gouvernement béninois et soutenu par l'Unesco en 1993, et connaît actuellement de profonds changements. Cette analyse, resituant l’histoire de La Route de l’Esclave dans un processus international de création des mémoriaux depuis la fin des années 1980, est aussi enrichie par l’étude du Mémorial de l’abolition de Nantes, ouvert en 2012 et, à moindre mesure, par l’analyse du Mémorial ACTe, inauguré en 2015.

À travers une approche pluridisciplinaire ayant recours aux outils de l'anthropologie et de l’architecture, de l’histoire et de l'histoire de l'art, cette thèse de contribue aux apports des « memory studies » en observant les phases de développement et les dynamiques de requalification de ces sites mémoriels.

L’étude des pratiques et des usages des espaces commémoratifs, par leurs dimensions symboliques, dresse un portrait des divers interprétations historiques et mémorielles du passé. Il s’agit d’interroger le rôle de l’espace dans l’assise de lectures hégémoniques du passé, et les phénomènes d’appropriation et de transformation des sites mémoriels comme revendications. Les rapports de domination entre « acteurs de mémoire » témoignent aussi des processus de réécriture de l’histoire, accentués par la résurgence de nouveaux récits mémoriels collectifs et par la dénonciation d’une historiographie eurocentrée.

L’attention portée aux signes et aux caractéristiques plastiques, esthétiques, architecturaux et paysagers des sites, ainsi qu’aux expériences sensibles, intellectuelles, cognitives et émotionnelles proposées aux visiteurs, renseignent également sur les formes de transmission et de représentation du passé. Ces dispositifs contemporains de réincarnation du passé rendent visible les évolutions formelles et conceptuelles, les circulations d’expertises ou de normes et les réemprunts des sémiophores de la traite atlantique et de l’esclavage. Au Bénin, les logiques de matérialisation des mémoires privilégiées par les gouvernements contrastent avec les formes de commémorations locales. Cette thèse sonde les limites des notions de « patrimonialisation » et de « monumentalisation des mémoires » sur ce territoire, à l’aune des modes vernaculaires de conservation et d’expression du passé.

EN

This study focuses on the spatialization processes of memories and on the negotiation and advocacy phenomena associated with them. It highlights the social, political, cultural and architectural complexity of memorial sites, which are both spaces to remember the past, to legitimate history and to educate on citizen and fundamental values of a collective identity.

Rossila Goussanou questions the physical inclusion of the memories of the Atlantic Slave Trades and of slavery, based on a study of the Slave Route in Ouidah, Benin, carried out between October 2015 and December 2019. This memorial circuit, which recounts the route taken by the prisoners to the slave ships, was initiated by the Beninese government and supported by UNESCO in 1993. It is currently going through deep changes. Placing the history of the Slave Route in an international process of creation of memorials since the end of the 1980s, this research is also enriched by the study of the Memorial to the abolition of slavery in Nantes, inaugurated in 2012, and, to a lesser degree, of the ACTe Memorial, inaugurated in 2015.

Using a pluridisciplinary approach with tools from anthropology and architecture, history and history of art, this thesis represents a contribution to the memory studies by observing the development phases and the dynamics of requalification of these memorials.

The study of the practices and uses of commemorative spaces, with their symbolic dimensions, paints the picture of the different historical and memorial interpretations of the past. It aims to question the role of space in the bedrock of hegemonic reading of the past, and the phenomena of appropriation and transformation of memorials as advocacy. The power relationships between “actors of memory” also bear witness to the processes of rewriting history, enhanced by the resurgence of new collective memorial stories and by the denunciation of euro-centred historiography.

The attention given to plastic, aesthetic, architectural and landscape signs and characteristics of the sites, as well as to the sensitive, intellectual, cognitive and emotions experiences proposed to the visitors, also informs on the forms of dissemination and representation of the past. These contemporary mechanisms of the reincarnation of the past make visible the formal and conceptual evolutions, the circulation of expertise or norms and the re-borrowing of the semiophora of the Atlantic Slave Trade and slavery. In Benin, the materialisation logics of memories that are favoured by governments contrast with the local forms of commemorations. This thesis studies the limits of the concepts of “heritage-making” and “monumentalisation of memories” on this territory, in light of vernacular modes of conservation and expression of the past.