Dans le cadre du programme 2021 du Centre culturel international de Cerisy, Rachel Brahy (Université de Liège), Jean-Paul Thibaud, Nicolas Tixier (AAU-CRESSON), Nathalie Zaccaï-Reyners (Université libre de Bruxelles) organisent un colloque sur le thème :

« L’enchantement qui revient »

En présence d’Yves Winkin.

La notion d’enchantement se prête à une grande diversité d’usages qui ne se réduisent pas à des antonymes du « désenchantement du monde » au sens de Max Weber. Qu’en est-il de ces approches contemporaines et quelles en seraient les vertus heuristiques ? S’agit-il de poser un constat sur le monde contemporain, tour à tour enchanté et désenchanté ? D’évoquer des expériences spécifiques, au caractère quelque peu magique ? De s’intéresser à des lieux, scènes, processus, « modes d’être » ou régimes d’interactivité particuliers ? La labilité du terme ouvre à de multiples terrains d’investigation, tant théoriques que pratiques.

Lors de ce colloque, la notion d’enchantement sera explorée dans ses liens avec le vivant ; ses proximités avec les notions voisines d’ambiance, de présence et/ou de résonance ; la rencontre avec des fictions, des formes d’arts ou de vies alternatives ; des descriptions de fantasmagories urbaines ; ou encore au travers de quelques manifestations des puissances de l’imaginaire. L’imbrication des approches, des problématiques et des concepts s’imposera également comme un axe de travail, ouvrant à des confrontations, des mises en situation ou en découverte avec tous les participants.

Les présentations des chercheurs du CRESSON :

Jean-Paul Thibaud : L’enchantement, une intonation de la vie
Que se passe-t-il quand on aborde l’enchantement en termes d’ambiance ? L’enchantement ne procéderait-il pas d’une mise en ambiance spécifique qui augmente notre attachement à la vie ? N’a-t-on pas affaire à l’installation d’une tonalité affective singulière qui nourrit notre faculté de sentir et accroît notre puissance d’agir ? Cette perspective permettra d’aborder la question de l’atmosphérisation du monde et de la mise en condition sensible de l’expérience, du pouvoir d’emprise d’une ambiance et de sa capacité à activer une puissance de vie. Il s’agira d’approcher l’enchantement comme un mouvement d’intensification de la sensibilité aux milieux de vie. On pourra également se demander si l’on n’assiste pas actuellement à une forme spécifique d’enchantement du monde que l’on pourrait qualifier d’étrange : un « étrange enchantement » ou une « étrangeté enchantée » qui découvre à nouveaux frais la composition sensible de mondes possibles. Que pourrait donc être cette écologie ambiantale de l’enchantement, attentive à la vitalité et à la précarité des milieux en devenir ?

Nicolas Tixier : À la recherche de l’enchantement
L’habiter se fabrique de multiples façons. Voir et dire ces fabriques reste un des enjeux majeurs pour comprendre ce qui fait patrimoine dans les usages, mais aussi dans les capacités d’un lieu à se renouveler tout en gardant ce qui le rend singulier et dont l’ambiance en est un catalyseur autant qu’un révélateur. À partir des travaux sur les modes d’existence d’Étienne Souriau, relus par David Lapoujade, on regardera comment il est possible d’entrevoir dans un cadre projectuel une approche rétro-prospective des ambiances d’un lieu, cherchant en quelque sorte un ré-enchantement possible. Pour incarner ces propositions, on s’appuiera sur un projet urbain que nous avons développé avec l’artiste Didier Tallagrand : « L’affaire de l’aqueduc de la Reine Pédauque » (Toulouse, France).

Marc Breviglieri : Chants célestes (Maroc)
Dans l’univers végétal d’une oasis du Maroc présaharien des femmes âgées, viennent quotidiennement collecter des plantes spontanées aux pouvoirs nombreux. Notre intervention se penchera sur la délicate attention que suppose l’effectuation de ces gestes de collecte pour lesquels la tradition anthropologique a eu bien peu d’égards. Pour déployer notre analyse, on essaiera de relier ces gestes techniques à des chants d’espérance (tangift) qui éclairent au passage la riche composition de l’arrière-plan cosmologique oasien. Un travail filmique nous aidera à nous mettre en présence de ces femmes en collecte et de leurs chants célestes.

Giuseppe Gavazza : « Entre son et songe » [performance]
« Entre son et songe » est une composition musicale originale divisée en quatre parties :
Haut-parleurs humains : radios vivantes
Une performance collective utilisant des récepteurs radio portables, des oreillettes et des êtres humains. Les personnes, portant des oreillettes reliées à leurs radios portables syntonisées sur le même canal, essayant de reproduire le programme radio — en utilisant leur voix, leur corps et des objets — deviennent un chœur de haut-parleurs humains. Au bout d’un moment, une sorte de coordination entre les interprètes se produit spontanément. La performance peut se produire n’importe où et n’importe quand, sous la forme d’une performance spontanée et participative, ou peut être coordonnée à grande échelle par une émission de radio selon un palimpseste spécifique.
Clouds sound !
Un peu dans l’esprit des Paroles Gelées de Rabelais, mais sans combat (Faites des rêves, pas la guerre !). Suspendu à des ballons ancrés, je vais installer quelques dizaines de haut-parleurs de poche (un pour chaque ballon) qui diffuseront des voix qui racontent leurs rêves. L’installation fonctionnera de jour et/ou de nuit. Les voix qui narrent les rêves seront, à mon souhait, celles des participants au colloque : voix recueillies lors d’entretiens, éventuellement anonymes, réalisés pendant la résidence ou précédemment, selon des modalités à convenir. Après l’atterrissage, le même orchestre de poche sera utilisé pour interpréter ma nouvelle composition :
Le Château des voix timides
Création qui sera composée pendant les jours de résidence du colloque.
META Choir Cerisy
Une performance collective que j’ai conçue et présentée pour la première fois à META, Black Mountain College, N.C., en mai 2002. Tous les participants ont été invités à interpréter la partition : des instructions simples sur une ligne de temps, sous la direction des cloches et d’une grande horloge sur le mur. Chacun joue son rôle : réciter, chuchoter, chanter des mots tels que le nom, la date de naissance, les noms des proches, le signe du zodiaque, des souvenirs d’enfance, des émotions, les rêves…
Le concert, d’une durée de quelques minutes, peut être joué une fois ou les jours suivants à la même heure, toujours ouvert à tous ceux qui veulent y participer. Je vais écrire la partition pour META Choir Cerisy pendant les jours de résidence du colloque.