Cette recherche s'est concentrée sur le projet urbain « Ile de Nantes », vaste territoire de 337 ha en bordure de centre-ville, appelé à devenir un cœur de métropole et jonché, dans sa partie ouest de tout un ensemble de friches industrialo-portuaires. Nous l'avons établie sur la question des usages des héritages industriels et portuaires dans le cadre des politiques de renouvellement urbain, alors que le passage d'une « ville-industrie » à une « ville-culture » ou « post-industrielle » nous posait question à Nantes. Nous acceptons que les usages du patrimoine et plus largement du registre mémoriel, dans le cadre du projet urbain « Ile de Nantes » s'inscrivent dans un double contexte, l'urbanisme de projet à vocation de régénération urbaine et les nouveaux modes de régulation politique ou gouvernance urbaine. En s'appuyant sur ce double contexte, nous montrons comment ces usages largement renouvelés du registre patrimonial répondent à des enjeux stratégiques d'internationalisation de la ville au regard d'un contexte de forte compétition interurbaine. Par l'attention aux formes héritées du passé, la conservation des halles, des grues, des cales, des platelages, créatrices d'une ambiance urbaine, le projet nantais cherche à mettre en valeur, par la spécification de son territoire, les spécificités de son projet urbain. L'exemple du redéveloppement des friches industrialo-portuaires marque précisément qu'il existe aujourd'hui, selon les places, une production tout à fait uniformisante et lisse (l'exemple des Festival Market Place depuis le modèle américain du waterfront revitalisation ou l'exemple libéral de l'aménagement des London Docklands en nouvelle City) ou au contraire des valorisations spécifiques liées à l'identité des territoires. En deçà de ces réflexions, nous revenons aussi à une échelle beaucoup plus pragmatique et moins symbolique de l'analyse de l'aménagement des villes, celle qui fait de la carte patrimoniale un des instruments de l'action publique dans la constitution d'un réseau de villes européennes dans laquelle Nantes, ville européenne moyenne, s'est inscrite. Nous développons la mise en œuvre de projets s'inscrivant dans des programmes européens comme les projets du réseau européen REVIT pour la revitalisation des friches industrielles. Dans cette perspective, nous pouvons nous rendre compte que ces nouveaux usages du patrimoine ont favorisé l'émergence de nouveaux acteurs, comme un ensemble de chargés de mission, issus des DESS ou autres master, IEP, etc. qui savent désormais agencer les questions patrimoniales à la problématique internationale du projet. Ces usages deviennent aussi, à l'interne, des instruments de mobilisation sociale renforçant ainsi une culture commune du territoire, un nouveau récit à partager par de nouvelles élites urbaines s'agrégeant progressivement autour d'un projet urbain en train de se faire. Enjeu là encore, le volontarisme des pouvoirs publics dans l'aménagement des espaces publics va créer une mobilisation de l'ensemble des acteurs privés, immobiliers, entrepreneurs et va impulser une dynamique de marché. Est ainsi créée une mémoire fondée sur les actions de conservation et de valorisation des éléments patrimonialisés susceptibles de s'adapter à l'ensemble de la ville renouvelée et sur laquelle nous acceptons l'idée d'une « ironie patrimoniale sur fond de densification-gentrification ». Ce récit de la ville renouvelée appuie donc une certaine interprétation de la trame spatiale en train de se construire. Nous pouvons voir alors comment, en contrepoint, se déroulent aussi des usages d'effacement, d'autres enjeux de mémoire liés notamment à la mobilisation d'acteurs associatifs se retrouvant progressivement marginalisés.